Le Berlin Kid by Hélène de Billy

Le Berlin Kid by Hélène de Billy

Auteur:Hélène de Billy
La langue: eng
Format: epub
Éditeur: Québec Amérique
Publié: 2021-03-15T18:16:36+00:00


Le zoo de Berlin

Cette nuit-là, il bombarde l’un des symboles les plus pervers du nazisme.

Les bombardements aériens avaient ceci d’irréel : tandis que des milliers de tragédies homériques se jouaient au sol, aucune plainte ne parvenait aux oreilles du Kid. Passé le bruit assourdissant des moteurs, Roger Coulombe n’entendait rien de la dévastation qui se déroulait en bas : ni les cris des femmes, ni les gémissements des enfants, ni le tocsin, ni les os des villes qui se disloquaient, ni le tonnerre des beffrois qui s’effondraient.

L’engrenage fatal. On tue l’ennemi du haut des airs, on tue toutes les semaines. On tue sur commande. On tue sans voir de cadavres. Puis, le jour arrive où on succombe à sa propre barbarie : on tue son camarade.

Dans son journal de bord, comme pour se distancier encore davantage du carnage, le Kid accumulait des statistiques (étrangement, les nazis ont usé d’un procédé semblable durant l’Holocauste). Si c’était son quatrième raid sur une ville, il l’indiquait. C’était important. Tout comme la durée d’un vol. Ou le tonnage des bombes. Il notait aussi la température à l’intérieur de l’avion – parfois jusqu’à -40 degrés Celsius. Et il ne manquait jamais de souligner le nombre de bombardiers qui manquaient à l’appel (au-delà de 10 %, on parlait d’un massacre).

Il n’écrivait plus : « C’est une pitié de voir Berlin en feu. » Il rappelait : « Nous avons déversé 2 500 tonnes d’explosifs sur la ville. » Il ne disait pas : « 175 000 résidants de l’agglomération urbaine berlinoise se sont retrouvés sans-abri. » Il se désolait : « Hélas, mon congé a été remis d’une journée. »

Il n’était évidemment plus question de correspondance fugace avec une femme enceinte fuyant leur implacable vengeance comme une bête traquée. Il n’était plus question de la Vierge Marie, de protection divine, de lumière intérieure. Demander pardon aux créatures de Dieu en bas ? Impossible. Et puis, Coulombe appartenait à la race des paysans. Une espèce prompte aux jugements expéditifs et à la justice sommaire. Le paysan tue son chien sans le moindre état d’âme s’il soupçonne la bête de dévorer son bien. Son monde n’est pas égalitaire, mais se décline comme une hiérarchie du plus faible au plus fort, avec la nature comme esclave au bas de l’échelle. Et passe-moi le gibier que je l’éventre avec mon couteau. Et passe-moi le cochon où tout est bon jusqu’à la torture. L’animal sacré ? Une invention des shamans. Pourtant, la mort des animaux précède celle des sociétés. On en avait eu la démonstration durant la Première Guerre mondiale, quand le zoo d’Anvers avait été bombardé. Sur place comme artiste en résidence, le sculpteur Rembrandt Bugatti n’avait pu supporter ce génocide animal. Il s’était suicidé quelque temps après le massacre des girafes et des éléphants qu’il avait reproduits en quantité dans son art.

Roger Coulombe n’avait jamais mis les pieds dans un parc d’animaux exotiques. Il n’avait jamais vu de tigre de sa vie, jamais admiré d’autruche autrement que dans les pages illustrées de ses livres d’aventure préférés.



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